Sédiments
Présenté dans le cadre de l’exposition :
ÉCLATS DE MÉMOIRE
QUAND L’ART RETRAVAILLE LE PASSÉ
Sébastien Cliche, Moridja Kitenge Banza, Marc-Antoine K. Phaneuf
Grande Bibliothèque, Salle d’exposition, Montréal, 2018
En collaboration avec Art Souterrain
Ce qui a retenu mon attention lors de ma première visite au Centre de conservation des collections patrimoniales de BAnQ (BAnQ Rosemont-La Petite-Patrie), c’est l’idéal d’exhaustivité inhérente au mandat des collections. Pourtant, cette quasi-utopie n’empêche pas l’organisation de poursuivre son travail avec toute la patience que demande l’acquisition, le traitement, la restauration et la numérisation des documents. Puisqu’aucun élagage n’est envisagé, l’espace de conservation devient un enjeu incontournable. Réaménager ou agrandir; l’oubli n’est pas une option.
Très tôt dans le projet, mon intérêt s’est porté sur l’entreprise de conservation dans son ensemble plutôt que sur un document ou une collection particulière. Les dispositifs, les normes et les protocoles sont des motifs récurrents dans mon travail. Dans cette perspective, l’édifice de BAnQ, situé sur la rue Holt, est envisagé comme une infrastructure de contrôle déployée pour constituer et conserver une partie de notre mémoire collective. Dans cette œuvre vidéo créée à partir de ce lieu, il n’y a ni narration ni texte pour expliciter ce qui est montré. Je cherche plutôt à créer un portrait subjectif qui prendra forme par l’accumulation de fragments. Les installations, les opérations ou les outils rarement présentés au public gardent une part de mystère et sont assemblés pour mettre de l’avant des qualités formelles insoupçonnées. En déployant les séquences vidéo sur trois écrans, je remets en jeux la linéarité du montage en offrant au spectateur de diriger son attention sur l’une ou l’autre des projections et, ce faisant, je lui donne une part active dans l’expérience.
Lors du tournage, j’ai minimisé les effets de mise en scène en cherchant à capter les lieux tels quels. J’y ai cependant introduit des corps étrangers: des prismes rectangulaires vides aux arêtes translucides et de différentes tailles qui reprennent les formats de livres, de documents ou de boites de conservation. Ces formes sont apparues à la suite d’une réflexion sur la nature intangible des objets dont on cherche à assurer la pérennité matérielle. Il y a en effet un paradoxe entre l’imposante infrastructure dédiée à la conservation physique de documents et l’immatérialité de leurs contenus : paroles, récits, idées, mélodies … Ces prismes-documents font aussi allusion aux archives à venir, à toutes ces publications qui dès leur parution, viendront immanquablement trouver leur place dans les collections.
Ce sont les mêmes objets énigmatiques que l’on retrouve dans les étagères qui servent de structure aux écrans. Derrière les projections, l’accumulation de ces formes, appuyées l’une sur l’autre comme des livres, inspire une réflexion qui diffère de la curiosité que pourrait provoquer un document rare ou inusité. Il s’agit pour moi de représenter un horizon infini de publications et d’archives en passant par une forme aux limites de l’abstraction.