La température de l’information (Circa)
CIRCA, Art actuel, Montréal, 2024
FR (english follow)
La température de l’information met en scène un dispositif fictif, génératif de traitement de données obsolètes, structuré par un mobilier de classement éphémère. Des livres, des photographies et des moulages de plâtre reposent dans des solutions d’eau saline, comme autant de spéculations archétypales encapsulées.
Tout au long de l’exposition, l’œuvre évolue à la façon d’une fiction poétique. Il en résulte une certaine esthétique de l’accumulation confrontée à l’oubli, dont les processus de cristallisation, de précipitation et de sédimentation sont porteurs de métamorphoses. Tel un alchimiste, l’artiste met en tension un ensemble de propriétés réactives qui induisent le devenir sculptural des archives. Il en va de même de nos mémoires vives, tout comme de celles endormies.
Le potentiel de transformation de l’œuvre soumet le visiteur à un avant et à un après sa présence au cœur du dispositif, à ce qui est sur le point d’advenir; une tension entre ce qui nous apparaît et ce qui nous échappe. Situant d’ores et déjà les archives dans la catégorie de la cristallisation, l’artiste vient en raviver le potentiel. Il y a (re)façonnage par l’exaltation de notre mémoire. Ultimement, c’est potentiellement en nous que se trouve la température de l’information.
Dans un contexte de dualité entre une économie de l’entreposage de la donnée et son potentiel d’usage ou de consultation future, celle-ci est catégorisée par l’opposition hot data< et cold data. L’œuvre prend comme point de départ la masse croissante d’informations non-actives que l’on garde en mémoire, physiquement ou virtuellement. Ce regard plus large sur les enjeux liés à la sauvegarde de données est exploré au moment même où les ponts avec nos systèmes d’enregistrements biologiques s’arriment, tant bien que mal, aux développements technologiques.
Avec cette nouvelle création, Sébastien Cliche agit sur la notion de souvenirs et de data au-delà du paradigme infonuagique ou de la structure dédiée, vers leur devenir perpétuel. Plus qu’un simple prolongement de ses œuvres précédentes, la recherche en cours s’affranchit d’une thématique spécifique au profit d’une approche mnémonique des matériaux. Dans le contexte du lieu d’accueil, l’intervalle entre la matérialité des supports, la réalité immatérielle des transformations, ainsi que les processus et les matériaux qu’emprunte l’artiste pour donner forme à son dispositif, tous contribuent à l’émergence de liens métaphoriques.
Pourtant, la question du contrôle est omniprésente dans la pratique de l’artiste. Nous nous représentons généralement la notion de contrôle selon un rapport binaire tel que contrôleur/contrôlé, contrôlable/incontrôlable, contrôle positif/contrôle négatif où celui-ci est généralement perçu de façon négative – trop de contrôle – ou de façon positive – besoin/désir de contrôle. Par le biais de son dispositif, l’artiste devient à la fois réalisateur et acteur, parfois simple opérateur. C’est donc dans la rencontre des systèmes d’autorégulation, avec ou sans résolution, qu’il en situe l’intersubjectivité.
Dans La poétique de l’œuvre ouverte paru en 1962, Umberto Eco évoque la composition musicale Scambi d’Henri Pousseur où un nombre indéfinissable de transformations macroscopiques évoluent vers un même climax indéfini. La température de l’information, avec ses propriétés organiques à caractère performatif et ouvert, semble prendre comme point d’origine un similaire désir de transmutation. C’est avec doigté que l’artiste s’affaire à en activer les potentialités.
Texte de Maryse Morin
Ce projet a été réalisé grâce au soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des Arts du Canada
EN
La température de l’information is the incubator of a fictitious generative system that can be seen processing obsolete data using a series of ephemeral classification structures. Books, photographs, and plaster casts sit immersed in saltwater solutions, like encapsulated archetypal speculations.
Throughout the exhibition, the work evolves with poetic fiction qualities, giving rise to an aesthetic of accumulation and moments come and gone. The crystallization, precipitation and sedimentation processes bring about metamorphosis. Like an alchemist, the artist activates a series of reactive properties, setting in motion the sculptural becoming of the archives—which are not unlike our own active and dormant memories.
The work’s transformative potential lies in that visitors are subjected to a before and after of their presence to the work in progress. It sets up a tension between what appears to be and what will elude us over time. While locating the archives in the category of crystalized object, the artist imbues them with (re)generative power, in a sense exalting our own memory. Ultimately, the temperature of information may very well reside within us.
The duality generated by the economy of data storage—as opposed to its potential for present or future consultation—is categorized by hot data and cold data. The work addresses the growing mass of inactive information that we store, physically and virtually. This comprehensive examination of the concept of data storage comes in a context where the interplay between our biological recording systems and technological advancements are closely intertwined, for better or for worse.
With this new exhibit, Sébastien Cliche stirs the notions of memory and data beyond the cloud paradigm or other dedicated structures, shifting our understanding of it toward their perpetual becoming. More than a simple extension of his previous works, this dispositif frees the artist from any one theme in favour of a mnemonic approach to materials. The interval between the materiality of the mediums, the immaterial reality of the transduction, and the processes and materials borrowed by the artist—as he gives form to his autopoiesis project—all give birth to metaphorical connections.
Yet the question of control is omnipresent in the artist’s practice. We usually think of control in terms of a binary relationship such as controller/controlled, controllable/uncontrollable, positive control/negative control, where control is generally perceived in a negative way—too much control—or in a positive way—the need/desire for control. Through a series of gestures, the artist becomes both director and actor. At times, merely operator. In this way, Cliche situates intersubjectivity in the encounter between self-regulating systems, with or without resolution.
In La poétique de l’œuvre ouverte (1962), Umberto Eco evokes Henri Pousseur’s musical composition Scambi, where an indefinable number of macroscopic transformations evolve toward a single, indefinite climax. La température de l’information, with its performative and open-ended organic properties, appears as the outgrowth of a similar desire for transmutation. The artist activates its potential both deftly and masterfully.
Text by Maryse Morin
The artist would like to thank Conseil des arts et des lettres du Québec and Canada Council for the Arts for their support at various stages of the conception and realization of this project.